Il
doit partir, pas parce que la France, l’Amérique et les Nations Unies
l’ont dit. Après l’Iraq, la Palestine, le génocide du Rwanda et les
élections au Gabon, on sait que ces grandes puissances, souvent
soutenues par l’ONU, peuvent être aveuglées par leurs intérêts
personnels. Les récentes publications de Wikileaks viennent apporter de
l’eau au moulin de ces intellectuels africains qui soutiennent la thèse
des complots et les ingérences des Occidentaux dans les affaires
africaines.
Il doit partir, pas parce que la Commission Electorale
Indépendante a déclaré Alassane Ouattara victorieux, sans l’aval de la
Cour constitutionnelle, seule habilitée à légitimer les résultats. En
Afrique, on est habitué aux élections volées. Nombreux sont les
présidents qui passent avec plus de 80% des votes. Il y en a même qui
refusent de partir après avoir perdu les élections et qui se font
remplacer par leurs fils après des mandats illégaux, ou après leur mort.
A ceux qui ne sont pas contents, ils disent : “Et alors, y’a quoi
même ?”
Il doit partir, pas parce qu’il a eu tort de dire tout
ce qu’il a dit sur Alassane Ouattara, concernant l’origine de ce dernier
et ses relations avec les capitalistes Français et Américains qui ne
demandent qu’à recoloniser l’Afrique.
Mais Gbagbo doit partir parce qu’un temps est révolue en
Afrique : Ben Ali en Tunisie l’a compris, et Mubarak de l’Egypte vient
de le comprendre. Son départ mettra en garde, avec encore plus de
force, toute l’Afrique contre les aberrations, et permettra enfin de
dire : “Y’en a marre des présidents à vie, de leurs fils, et des
constitutions taillées sur mesure.”
Gbagbo doit partir, pas parce qu’il a peur des
sanctions, ou des invasions par les armées de l’ONUCI et de la CEDEAO ;
le peuple et l’armée ivoirienne sont forts et le soutiennent. Non pas
parce qu’il a peur de mourir pour son peuple et pour une Afrique
indépendante et souveraine ; bien avant lui, d’autres héros du
Pan-Africanisme, tels que Lumumba, Cabral et Sankara disaient : “La
patrie ou la mort, nous vaincrons.” Mais, Gbagbo doit partir pour mieux
émuler ces héros de la résistance et pour bien marquer les esprits par
son sacrifice pour le peuple Ivoirien et pour le progrès de la en
Afrique.
On sait que ce mot, démocratie, n’est pas parfait et
qu’il fait lever les sourcils de bon nombre de nos intellectuels
nationalistes et pan-africains. Mais, de nos jours, l’heure n’est pas à
la résistance. Depuis 1982, date de la création du FPI, Gbagbo est connu
dans son pays comme un socialiste qui avait choisi la voie de la
transformation pacifique et démocratique. Personne ne gagne si la Côte
d’Ivoire tombe dans le même scénario que le Zimbabwe, ou la Somalie, ou
le Soudan, ou, pire, dans un fratricide cauchemardesque à la Rwandaise
et Congolaise. C’est pourquoi Gbagbo doit partir pour que les Ivoiriens
gagnent, que l’Afrique gagne.
Gbagbo doit partir, non pas que cela reviendrait à
abandonner son peuple, le Sud et les Chrétiens à la merci des étrangers,
les gens du Nord, comme le dit si bien la Première Dame, Simone Gbagbo.
Il doit partir, non plus parce que c’est la France qui aurait gagné en
plaçant son Homme, Alassane Ouattara, à la tête du pays. Mais, il doit
le faire pour éviter la mort d’autres Ivoiriens, sauver son parti, le
FPI, et lui permettre, s’il le souhaite, de revenir comme “outsider” aux
prochaines élections.
Si Gbagbo part, comme Cellou Dallein Diallo en Guinée,
la Côte d’Ivoire et l’Afrique toute entière auront franchies une
nouvelle étape. Les héros de cette nouvelle Afrique ne seront ni les
présidents tribalistes, ni les partis clientélistes, ni mêmes les
présidents qui sont perçus comme victorieux des élections récentes au
Togo, au Gabon, au Liberia, en Guinée, au Burkina et en Côte d’Ivoire.
Les héros seront les Cellou Dallein Diallo et les Gbagbo qui ont su
quitter à temps. Ceux qui auront pu éviter à l’Afrique un autre Libéria,
une autre Sierra Leone, avec la guerre, les réfugiés et la famine.
Si Bagbo part, ceux qui auront encore plus à perdre
seront les présidents qui se préparent à changer leur constitution pour
rester plus longtemps au pouvoir, ou pour faire élire leur fils.
L’Afrique avance et les Africains ne sont plus dupes. Il
ne sert à rien de continuer à blâmer la France ou l’Amérique pour
bloquer ce progrès sur le continent. Gbagbo doit partir pour apporter sa
contribution à cette Afrique qui avance.
Une contribution de Mr Manthia Diawara
Professeur à l’Université de New York.
Auteur de Bamako, Paris, New York
24 Février 2011.