Alpha Oumar Konaré - 4 mai 2008 - par SAMY GHORBAL
Président sortant de la Commission de l’Union africaine
Une page s’est tournée à Addis-Abeba, le 28 avril 2008 : Alpha Oumar Konaré,
qui était, depuis juillet 2003 et le sommet de Maputo, président de la
Commission de l’Union africaine (CUA), a cédé son fauteuil à Jean Ping, l’ancien
ministre gabonais des Affaires étrangères. Organisée en présence de Jakaya
Kikwete, chef de l’État tanzanien et président en exercice de l’Union
africaine (UA), et de Mélès Zenawi, le chef du gouvernement éthiopien, la cérémonie
de passation des pouvoirs a été l’occasion pour le Malien de prononcer une
ultime allocution en forme de testament. Fidèle à la ligne de conduite qui a été
la sienne pendant les cinq années écoulées, Konaré a une dernière fois
martelé son credo en invitant les dirigeants du continent à donner enfin à l’UA et
à sa Commission les moyens institutionnels et financiers de fonctionner.
Sera-t-il entendu ?
Chantre et infatigable militant du panafricanisme, cet historien né à Kayes
le 2 février 1946 avait hérité, lors de sa nomination, d’une ambitieuse
feuille de route : réaliser l’intégration politique, économique et culturelle du
continent. Ancien chef d’État - il a présidé pendant dix ans, de 1992 à 2002,
aux destinées du Mali -, démocrate patenté - il a cédé le pouvoir au terme de
son second mandat, comme le prévoyait la Constitution -, Konaré avait l’
envergure et le charisme pour faire de la Commission un embryon d’exécutif
supranational. Et sa désignation à la tête du nouvel organe avait été interprétée
comme un signe d’une volonté claire de rupture avec la défunte Organisation
de l’unité africaine (OUA) devenue, au fil des compromis passés entre ses
membres, un « super-machin » bureaucratique et sclérosé.
Projet ambitieux, l’UA avait justement besoin d’une ambition à la hauteur
des défis de l’Afrique et des attentes de ses peuples. Konaré l’a incarnée et
a été, pendant cinq ans, la voix et le visage du continent. Il a donné une
visibilité diplomatique à la jeune organisation. Sous sa présidence, l’UA s’
est imposée comme l’interlocuteur naturel et légitime de l’ONU et de l’Union
européenne (UE), qui lui a apporté un soutien financier constant. En se
dotant d’un Conseil Paix et Sécurité, et en décidant du déploiement de 8 000
hommes au Darfour, elle a envoyé un message fort à la communauté des nations : l’
Afrique est résolue à prendre en main son destin. Beaucoup moins docile que
les secrétaires généraux successifs de l’OUA, beaucoup plus enclin, aussi, à
dire leur fait aux chefs d’État peu respectueux des droits de l’homme, très à
cheval, enfin, sur la méthodologie démocratique, Konaré, par ses
déclarations, ses prises de position et son intransigeance sur les grands principes, a
grandement contribué à donner à l’UA la crédibilité morale qui faisait tant
défaut à sa devancière. L’ancien dirigeant malien avait compris que, pour être
prise au sérieux par ses partenaires étrangers (et par la rue africaine), l’
organisation continentale ne pouvait en effet plus cautionner, même
silencieusement, les tripatouillages électoraux et faire passer les droits de l’homme
par pertes et profits. Une attitude à l’origine de quelques passes d’armes
mémorables, notamment celle avec le Nigérian Olusegun Obasanjo, en février
2005, au plus fort de la crise togolaise, mais qui s’est au final révélée payante…
Paradoxalement, Konaré a échoué dans le domaine qui lui tenait le plus à cœ
ur : l’intégration politique du continent. Trop ambitieux, excessivement
coûteux (600 millions de dollars par an) et sûrement prématuré, le programme
stratégique quadriennal, qu’il avait défendu en 2004, est resté lettre morte.
Force est de reconnaître toutefois que le Malien n’a guère été aidé par les États
membres, peu disposés à céder la moindre parcelle de leurs prérogatives.
Alors, oscillant entre le défi et le dépit, il annonce, en juillet 2006, au beau
milieu du sommet de Banjul, qu’il renonce à briguer un second mandat à la
tête de la CUA. Konaré expliquera plus tard que son geste était d’abord
destiné à provoquer un électrochoc salutaire. Désarçonnés, peu pressés d’ouvrir le
délicat dossier de sa succession, les chefs d’État africains insistent pour qu
’il revienne sur sa décision. En vain. Il accepte cependant d’assurer son
propre intérim et prolonge de fait son mandat d’une année. Il la met à profit
pour plaider - sans succès jusqu’à présent - en faveur d’une profonde
réforme de l’organisation de la Commission et un renforcement des pouvoirs de son
président.
L’élection de Jean Ping à la tête de la CUA va-t-elle se traduire par un
retour à l’ordre ancien, celui de la feue OUA ? Pour ses détracteurs, qui voient
en lui l’homme lige d’Omar Bongo Ondimba, doyen des chefs d’État du
continent et, surtout, pilier de cette Françafrique qui ne s’est jamais aussi bien
portée que depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, la cause est entendue. C’
est sans doute aller un peu vite en besogne. Certes, il existe a priori peu de
points communs entre l’ancien chef de la diplomatie gabonaise et l’
ex-président malien. Et, à n’en pas douter, leurs styles de présidence seront
radicalement différents. Gestionnaire plus que visionnaire, Ping fera certainement
moins de vagues que Konaré, et s’attellera, en priorité, à remettre de l’ordre
dans la maison. Une pause dans l’intégration, en quelque sorte, car il ne
sert à rien de construire sur du sable. Mais certainement pas, du moins veut-on
le croire, un arrêt définitif du processus entamé à Syrte, le 9 septembre
1999, qui doit théoriquement conduire aux États-Unis d’Afrique.
Rentré au bercail, à Bamako, celui que ses compatriotes appellent « Alpha »
devrait, lui, continuer à militer en faveur de l’Union. À l’en croire, son
enthousiasme ne s’est nullement émoussé, et il s’imagine désormais dans un
rôle de « conscience morale » et d’aiguillon infatigable du panafricanisme. Il
se consacrera principalement à sa Fondation pour les États-Unis d’Afrique.
Aujourd’hui, un come-back sur la scène politique intérieure n’est pas à l’
ordre du jour. Et, à ceux qui le voient déjà de retour à Koulouba, en 2012, il
répète invariablement : « On ne peut faire son temps et celui de ses
petits-enfants… »
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